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d’enfant, que les révolutions enivrent de théories et d’utopies ; un de ces hommes qui, loin des émotions, dans le cabinet, se roidissent et s’exaltent, se commandent un caractère, se fabriquent un cœur romain, et, se poussant et s’entraînant à la barbarie sereine des idées, à l’impitoyable rigueur des principes, prêchent, avec une plume sans merci, une justice et une morale de marbre. Mais ce n’est qu’échafaudage : tout croule, et il se trouve que cet homme, tout à coup rendu à ses faiblesses et à ses miséricordes, a les entrailles les plus humaines, la sensibilité la plus facile et la plus ouverte au prestige d’une grande infortune. Manuel est enchaîné, il est soumis ; Manuel, qui l’eût prévu ? sera le correspondant de la Reine ! Manuel sera l’homme qui subira, tête baissée, les éclats de l’indignation de la Reine aux massacres de Septembre et d’Orléans[1] ; Manuel sera le noble cœur qui, pendant le procès de la Reine, seul et dans un coin du greffe de la Conciergerie, enfoncé dans d’infinies tristesses, et las de la vie, dédaignera de cacher aux bourreaux la protestation et le deuil de sa douleur[2] !

Après l’enlèvement, « nous restâmes, tous quatre sans dormir, » dit simplement Madame[3]. Hélas ! d’autres séparations attendaient la famille

  1. Maximes et pensées de Louis XVI, et d’Antoinette.
  2. Quelques souvenirs de notes sur mon service au Temple, par M. Lepitre. Paris. Nicolle, 1817.
  3. Récit des événements arrivés au Temple, par Mme Royale, fille du Roi, à la suite du journal de Cléry. Paris. Baudouin, 1825.