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douze lieues de Paris, cette côte que le Roi avait voulu monter à pied, ces retards, cette voix qui passe : Vous êtes reconnus ! Bientôt Varennes, le tocsin, la générale… et ce dernier moment d’espérance où, assise sur les ballots de chandelles de l’épicier Sauce, elle avait failli décider la femme de l’épicier à sauver le Roi ; puis ce retour !…

Dans ces souvenirs, dans ces récits de Marie-Antoinette à ses familiers, un homme, un nom revenait souvent qui désarmait sa voix et semblait consoler sa mémoire. Elle se plaisait à parler de ce jeune commissaire de l’Assemblée, Barnave ; à dire le respect de son air, la convenance de ses paroles, la délicatesse de sa pitié, cette noble tenue d’une âme généreuse devant les misères d’une famille royale. Ces soins, cet attendrissement de Barnave, la Reine les opposait au cynisme et à la brutalité de leur autre compagnon de route, de ce Pétion, sur les genoux duquel elle n’avait pu laisser son fils ! Elle excusait ce jeune député du tiers, égaré par l’ambition d’un beau talent ; elle ne se souvenait plus du tribun, qui s’était calomnié lui-même ; elle ne voyait plus que ce jeune homme, le corps élancé hors de la portière, Madame Élisabeth le retenant par les basques de son habit, ce jeune homme qui sauvait avec l’éloquence de l’indignation un malheureux prêtre qu’on voulait massacrer devant la famille royale ; et elle disait que, si jamais elle redevenait Reine, « le pardon de Barnave était d’avance écrit dans son cœur[1] ». Mais quel change-

  1. Mémoires de Mme Campan, vol. II.