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amitiés comme par ses devoirs, la Reine est redoutable. Et quelles inquiétudes pour la Révolution cette séduction de sa personne, cet accent de sa voix, cet air, ce geste qui peuvent en un instant suprême arrêter les destins, entraîner une armée et faire répéter à des Français devant le trône de Marie-Antoinette le serment des Hongrois devant le trône de Marie-Thérèse ! Demain la Révolution n’entendra-t-elle pas, dans la chapelle des Tuileries, après le Domine salvum fac Regem, la noblesse de France crier d’une seule voix : et Reginam ! [1]

Il est besoin de conjurer ce péril et cette séduction. Toute la presse révolutionnaire pousse à la Reine : injures, colère, épigrammes, toutes les méchancetés et toutes les infamies de la parole imprimée la recherchent et la poursuivent. C’est la Reine, la Reine seule, contre laquelle les coups sont dirigés et les populaces ameutées. Dans tout ce papier qui flétrit ou menace la femme du Roi, le Roi, l’honnête, le vertueux, le mal conseillé Louis XVI, est toujours épargné ou absous. Dans l’autre camp, dans la presse royaliste, ce souverain qui s’oublie, Louis XVI est oublié de même ; les journalistes combattent, ils conspirent avec cette épouse et cette mère qui essaye vainement d’arracher le Roi à son sommeil et de lui donner son âme : la Reine est leur drapeau.

Puis d’autres ambitions encore que celles de la contre-révolution ne s’agitaient-elles point autour

  1. Journal de la cour et de la ville, 2 juin 1791.