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en Russie. Il vient annoncer cette résolution à la Reine, et c’est ici la grande scène du roman. Donnons la parole, non pas aux Mémoires tronqués de 1822, où le zèle de la censure a si mal servi la Reine, mais au manuscrit même de M. de Lauzun. «… Lauzun ! ne m’abandonnez-pas, je vous en conjure ! Que deviendrais-je, si vous m’abandonniez !  » Ses yeux étaient remplis de larmes ; touché moi-même jusqu’au fond du cœur, je me jetai à ses pieds : « Que ma vie ne peut-elle payer tant de bontés, une si généreuse sensibilité ! » Elle me tendit la main ; je la baisai plusieurs fois avec ardeur, sans changer de posture. Elle se pencha vers moi avec tendresse ; je la serrai contre mon cœur, qui était fortement ému. Elle rougit, mais je ne vis pas de colère dans ses yeux. « Eh bien ! reprit-elle en s’éloignant un peu, n’obtiendrai-je rien ? — Le croyez-vous ? répondis-je avec beaucoup de chaleur. Suis-je à moi ? N’êtes-vous pas tout pour moi ? C’est vous seule que je veux servir ; vous êtes mon unique souveraine. Oui, continuai-je plus tranquillement, vous êtes ma Reine, vous êtes la Reine de France. » Ses yeux semblaient me demander encore un autre titre…[1]. » Ainsi la Reine s’est offerte à M. de Lauzun, et M. de Lauzun a refusé la Reine. J’ai laissé parler M. de Lauzun ; je lui ai répondu[2].

  1. Passages retranchés des Mémoires de Lauzun. Revue rétrospective, vol. I.
  2. Le galant gentilhomme ne parle pas dans ses Mémoires des lettres d’État devant le mettre à l’abri de toutes poursuites de ses créanciers, qu’il sollicitait de la Reine ; lettres d’État que, sur la flagrante injustice de la demande, Marie-Antoinette se refusait à faire accorder (Correspondance de Mercy-Argenteau).