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familiarité des paroles délicates et du génie léger du dix-huitième siècle, l’esprit de Marie-Antoinette, né français, avait appris tous les esprits de la France sans perdre son ingénuité, sa jeunesse, j’allais dire son enfance. Temps heureux ! L’esprit de la Reine avait son âge alors : les livres sérieux, les affaires, tout le domaine de la pensée et de l’activité de l’homme, lui répugnaient et l’ennuyaient mortellement, sans que le visage de la Reine prît la peine de le cacher[1]. Entouré des plus piquants causeurs, des plus agréables grands hommes de l’ironie, l’esprit de la Reine cédait à l’exemple ; mais cette ironie de Marie-Antoinette, qui ne blessait point, ressemblait à la malice d’une jeune fille : on eût dit une espièglerie de sa gaieté et de son bon sens. C’était ce sourire montrant les dents, avec lequel elle appelait les Français mes charmants vilains sujets[2]. C’était ces jolis jugements, ces jugements d’un mot que la postérité n’a point refaits. Lisant Florian, Marie-Antoinette disait : Je crois manger de la soupe au lait[3]. Et qu’ajouter qui donne mieux la mesure de l’ironie de Marie-Antoinette, et le ton de ce rare esprit, l’esprit d’un homme d’esprit dans la bouche et avec l’accent d’une femme ?

La Reine aimait les lettres. Elle pensionnait l’ami de M. de Vaudreuil, et lui annonçait elle-même la nouvelle de sa pension avec des paroles si flatteuses,

  1. Correspondance entre le comte de La Marck et le comte de Mirabeau. Introduction.
  2. Mélanges militaires, etc., par le prince de Ligne, vol. XXIX.
  3. Mémoires de Weber, vol. I.