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ne la voyait que quand il fallait ses mains pour guérir, son dévouement pour consoler. C’était une femme impersonnelle pour ainsi dire à force de cœur, une femme qui ne s’appartenait point : Dieu ne semblait l’avoir faite que pour la donner aux autres. Son éternelle robe noire qu’elle s’obstinait à porter, son châle usé et reteint, son chapeau ridicule, sa pauvreté de mise était pour elle le moyen d’être, avec sa petite fortune, riche à faire le bien, dépensière en charités, la poche toujours pleine pour donner aux pauvres, non de l’argent, elle craignait le cabaret, mais un pain de quatre livres qu’elle leur payait chez le boulanger. Et puis avec cette misère-là, elle se donnait encore son plus grand luxe : la joie des enfants de ses amies qu’elle comblait d’étrennes, de cadeaux, de surprises, de plaisirs. Y en avait-il un par exemple que sa mère, absente de Paris, avait laissé à la pension, par un beau dimanche d’été, et le gamin, de dépit, s’était-il fait mettre en retenue ? Il était tout étonné de voir au coup de neuf heures déboucher dans la cour la cousine, la cousine agrafant encore la dernière agrafe de sa robe, tant elle s’était pressée. Et quelle désolation en la voyant ! — Ma cousine, disait-il piteusement avec une de ces rages où l’on a à la fois l’envie de pleurer et de tuer son pion, c’est… c’est que je suis en retenue… — En retenue ? Ah ! bien oui, en retenue ! Et tu crois que je me serai décarcassée comme ça… Est-ce qu’il se fiche de moi, ton maître de pension ? Où est-il ce magot-là que je lui