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enferma son temps et sa pensée dans les grammaires, les dictionnaires, les commentateurs, tous les scholiastes de l’art italien, la tint voûtée sur l’ingrat travail, sur l’ennui et la fatigue de traduire des mots à tâtons. Tout le livre retomba sur elle ; quand il lui avait taillé sa besogne, la laissant en tête à tête avec les volumes reliés en vélin blanc, il partait se promener, rendait des visites aux environs, allait jouer dans un château ou dîner chez les bourgeois de sa connaissance, auxquels il se plaignait pathétiquement de l’effort et du labeur que lui coûtait l’énorme entreprise de sa traduction. Il rentrait, écoutait la lecture du morceau traduit, faisait ses observations, ses critiques, dérangeait une phrase pour y mettre un contre-sens que sa fille ôtait quand il était parti ; puis il reprenait sa promenade, ses courses, comme un homme qui a bien gagné sa journée, portant haut, marchant, son chapeau sous le bras, en fins escarpins, jouissant de lui-même, du ciel, des arbres, du Dieu de Rousseau, doux à la nature et tendre aux plantes. De temps en temps des impatiences d’enfant et de vieillard le prenaient : il voulait tant de pages pour le lendemain, et il forçait sa fille à veiller une partie de la nuit.

Deux ou trois ans se passèrent dans ce travail, où finirent par s’abîmer les yeux de Sempronie. Elle vivait ensevelie dans le Vasari de son père, plus seule que jamais, éloignée par une native répugnance hautaine des bourgeoises de l’Isle-Adam