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mais la neige les laissait voir en dessous usées, et toutes flétries, horribles comme des souvenirs dont ne voulaient pas les autres morts et que l’on avait ramassées pour faire un peu de toilette aux croix avec des glanures de tombes.

Toutes les croix avaient un nom écrit en blanc ; mais il y avait aussi des noms qui n’étaient pas même écrits sur un peu de bois : une branche d’arbre cassée, plantée en terre, avec une enveloppe de lettre ficelée autour, c’était un tombeau qu’on pouvait voir là !

À gauche, où l’on creusait une tranchée pour une troisième rangée de croix, la pioche d’un ouvrier rejetait en l’air de la terre noire qui retombait sur le blanc du remblai. Un grand silence, le silence sourd de la neige enveloppait tout, et l’on n’entendait que deux bruits, le bruit mat de la pelletée de terre et le bruit pesant d’un pas régulier : un vieux prêtre, qui était là à attendre, la tête dans un capuchon noir, en camail noir, en étole noire, avec un surplis sale et jauni, essayait de se réchauffer en battant de ses grosses galoches le pavé du grand chemin, devant les croix.

La fosse commune, ce jour-là, c’était cela. Ce terrain, ces croix, ce prêtre disaient : Ici dort la Mort du peuple et le Néant du pauvre.


Ô Paris ! tu es le cœur du monde, tu es la grande ville humaine, la grande ville charitable et