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versait les mains dont elle voulait la repousser : Mlle de Varandeuil revoyait sa bonne morte. Elle revoyait ce visage qu’elle avait entrevu à l’amphithéâtre, ce visage crucifié, cette tête suppliciée où étaient montés à la fois le sang et l’agonie d’un cœur. Elle la revoyait avec cette âme que la seconde vue du souvenir dégage des choses. Et cette tête, à mesure qu’elle lui revenait, lui revenait avec moins d’épouvante. Elle lui apparaissait comme se dépouillant de terreur et d’horreur. La souffrance seule y restait, mais une souffrance d’expiation, presque de prière, la souffrance d’un visage de morte qui voudrait pleurer… Et l’expression de cette tête s’adoucissant toujours, mademoiselle finissait par y voir une supplication qui l’implorait, une supplication qui, à la longue, enveloppait sa pitié. Insensiblement, il se glissait dans ses réflexions, des indulgences, des idées d’excuse dont elle s’étonnait elle-même. Elle se demandait si la pauvre fille était aussi coupable que d’autres, si elle avait choisi le mal, si la vie, les circonstances, le malheur de son corps et de sa destinée, n’avaient pas fait d’elle la créature qu’elle avait été, un être d’amour et de douleur… Et tout à coup elle s’arrêtait : elle allait pardonner !

Un matin, elle sauta à bas de son lit.

— Eh ! vous… l’autre ! cria-t-elle à sa femme de ménage, le diable soit de votre nom ! Je l’oublie toujours… Vite, mes affaires… j’ai à sortir…