Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

liations d’une servante. Elle demeurait comprimée et rabaissée, isolée auprès de son père, écartée de ses bras, de ses baisers, le cœur gros et douloureux de vouloir aimer et de n’avoir rien à aimer. Elle commençait à souffrir du vide et du froid que fait autour d’une femme une jeunesse qui n’attire pas et ne séduit pas, une jeunesse déshéritée de beauté et de grâce sympathique. Elle se voyait inspirer une espèce de commisération avec son grand nez, son teint jaune, sa sécheresse, sa maigreur. Elle se sentait laide et d’une laideur pauvre dans ses misérables costumes, ses tristes robes de lainage qu’elle faisait elle-même et dont son père lui payait l’étoffe en rechignant : elle ne put obtenir de lui une petite pension pour sa toilette qu’à l’âge de trente-cinq ans.

Que de tristesses, que d’amertumes, que de solitude pour elle, dans cette vie avec ce vieillard morose, aigri, toujours grondant et bougonnant au logis, n’ayant d’amabilité que pour le monde, et qui la laissait tous les soirs pour aller dans les maisons rouvertes sous le Directoire et au commencement de l’Empire ! À peine s’il la sortait de loin en loin, et quand il la sortait, c’était toujours pour la mener à cet éternel Vaudeville où il avait des loges. Encore sa fille avait-elle une terreur de ces sorties. Elle tremblait tout le temps qu’elle était avec lui ; elle avait peur de son caractère si violent, du ton que ses colères avaient gardé de l’ancien régime, de sa facilité à lever sa canne sur l’insolence de la canaille.