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sante au logis. On n’avait vécu tout ce dur temps de la Révolution, on n’allait vivre tout le misérable temps du Directoire qu’avec une ressource bien inattendue, un argent de Providence envoyé par la Folie. Les deux enfants et le père n’avaient guère subsisté qu’avec le revenu de quatre actions du Vaudeville, un placement que M. de Varandeuil avait eu l’inspiration de faire en 1791 et qui se trouva être la meilleure affaire de ces années de mort où l’on avait besoin d’oublier la mort tous les soirs, de ces jours suprêmes où chacun voulait rire de son dernier rire à la dernière chanson. Bientôt ces actions, se joignant au recouvrement de quelques créances, donnèrent mieux que du pain à la famille. La famille sortait alors des combles de l’hôtel du Petit-Charolais et prenait un petit appartement dans le Marais, rue du Chaume.

Du reste, rien n’était changé aux habitudes de l’intérieur. La fille continuait à servir son père et son frère. M. de Varandeuil s’était peu à peu accoutumé à ne plus voir en elle que la femme de son costume et de l’ouvrage qu’elle faisait. Les yeux du père ne voulaient plus reconnaître une fille sous l’habit et les basses occupations de cette servante. Ce n’était plus quelqu’un de son sang, quelqu’un qui avait l’honneur de lui appartenir : c’était une domestique qu’il avait là sous la main ; et son égoïsme se fortifiait si bien dans cette dureté et cette idée, il trouvait tant de commodités à ce service filial, affectueux, respectueux, et ne coûtant