Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/256

Cette page a été validée par deux contributeurs.

bonnes de la maison, au bal de la fête, et ne rentra qu’avec elles au jour. Elle travaillait, aidait les domestiques. Sur un bout de chaise, dans un angle de la cuisine, elle était toujours à faire quelque chose de ses doigts. Mademoiselle fut obligée de la faire sortir, de l’envoyer s’asseoir dans le jardin. Germinie allait alors se mettre sur le banc vert, son ombrelle ouverte sur sa tête, avec du soleil dans sa jupe et sur ses pieds. Ne bougeant plus, elle s’oubliait là à respirer le jour, la lumière, la chaleur, dans une sorte d’aspiration passionnée et de bonheur fiévreux. Sa bouche détendue s’entr’ouvrait à l’haleine du grand air. Ses yeux brûlaient sans remuer ; et dans l’ombre éclairée qui glissait de la soie de l’ombrelle, son visage consumé, décharné, funèbre, regardait comme une tête de mort amoureuse.

Toute lasse qu’elle était le soir, rien ne pouvait la décider à se coucher avant sa maîtresse. Elle voulait être là pour la déshabiller. Assise à côté d’elle, de temps en temps elle se soulevait pour la servir comme elle pouvait, l’aidait à ôter un jupon, puis se rasseyait, ramassait un instant ses forces, se relevait, voulait encore servir à quelque chose. Il fallait que mademoiselle la rasseyât de force et lui ordonnât de rester tranquille. Et tout le temps que durait cette toilette du soir, c’était toujours dans sa bouche le même rabâchage sur les domestiques de la maison. — Voyez-vous, mademoiselle, vous n’avez pas idée des yeux qu’ils se font quand