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derrière eux dans les jardins publics, dans les bals. Elle marchait dans leurs rires, dans leurs paroles, se déchirait à les voir, à les entendre, et restait là, dans leur dos, à faire saigner toutes ses jalousies.


LVII.


On était au mois de novembre. Depuis trois ou quatre jours, Germinie n’avait point rencontré Jupillon. Elle vint l’épier, le chercher près de son logement. Arrivée à sa rue, elle vit de loin une large raie de lumière filtrant par son volet fermé. Elle approcha et entendit des éclats de rire, des chocs de verre, des femmes, puis une chanson, une voix, une femme, celle qu’elle haïssait avec toutes les haines de son cœur, celle qu’elle eût voulu voir morte, celle dont elle avait tant de fois cherché la mort dans les lignes du sort, elle enfin — sa cousine !

Elle se colla derrière le volet, aspirant ce qu’ils disaient, enfoncée dans la torture de les entendre, affamée et se repaissant de souffrir. Il tombait une pluie froide d’hiver. Elle ne la sentait pas. Tous ses sens étaient à écouter. La voix qu’elle détestait semblait par moments faiblir et s’éteindre sous les baisers, et ce qu’elle chantait s’envolait comme étouffé par une bouche qui se pose sur une chanson. Les heures passaient. Germinie était toujours