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finie, les mains sous les aisselles pour se tenir chaud, la prostituée en bonnet noir qui erre, la croisaient et la regardaient. Les inconnus avaient l’air de la reconnaître ; la lumière lui faisait honte. Elle se sauvait de l’autre côté du boulevard, et longeait contre le mur de ronde la chaussée ténébreuse et déserte ; mais elle en était bientôt chassée par d’horribles ombres d’hommes et des mains brutalement amoureuses…

Elle voulait s’en aller ; elle s’injuriait au dedans d’elle ; elle s’appelait lâche et misérable ; elle se jurait que c’était le dernier tour, qu’elle irait encore jusqu’à cet arbre, et puis que ce serait tout, que s’il n’était pas rentré, c’était fini, elle s’en irait. Et elle ne s’en allait pas ; elle marchait toujours, elle attendait toujours, plus dévorée, à mesure qu’il tardait, du désir et de la fureur de le voir.

À la fin, les heures s’écoulant, le boulevard se dégarnissant de passants, Germinie épuisée, éreintée de fatigue, se rapprochait des maisons. Elle se traînait de boutique en boutique, elle allait machinalement là où brûlait encore du gaz, et elle restait stupide devant le flamboiement des devantures. Elle s’étourdissait les yeux, elle tâchait de tuer son impatience en l’hébétant. Ce qu’on voit au travers des carreaux suants des marchands de vin, les batteries de cuisine, les bols de punch étagés entre deux bouteilles vides d’où sort un brin de laurier, les vitrines où les liqueurs mettent leurs couleurs dans un éclair, une choppe pleine de petites cuillers de Ruolz, cela