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cercle des apparences, des images, des rudiments de nom, des ombres d’initiales, des ressemblances de quelqu’un, des ébauches de quelque chose, des embryons de présages, des figurations de rien qui lui annonçaient qu’elle serait victorieuse. Elle voulait voir, et se forçait à deviner. Sous la tension de son regard, la porcelaine s’animait des visions de ses insomnies ; ses chagrins, ses haines, les visages qu’elle détestait, se levaient peu à peu de l’assiette magique et des dessins du hasard. À côté d’elle la chandelle, qu’elle oubliait de moucher, jetait sa lueur intermittente et mourante : la lumière baissait dans le silence, l’heure tombait dans la nuit, et comme pétrifiée dans un arrêt d’angoisse, Germinie restait toujours clouée là, seule et face à face avec la terreur de l’avenir, essayant de démêler dans les salissures du café le visage brouillé de son destin, jusqu’à ce qu’elle crût apercevoir une croix à côté d’une femme ayant l’air de la cousine de Jupillon, — une croix, c’est-à-dire une mort prochaine.


XLVI.


L’amour qui lui manquait, et auquel elle avait la volonté de se refuser, devint alors la torture de sa vie, un supplice incessant et abominable. Elle eut à se défendre contre les fièvres de son corps, et les