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elle parfois impatientée. Elle se souvenait du temps où Germinie lui était si utile pour retrouver une date, mettre une adresse sur une carte, dire le jour où on avait rentré le bois ou entamé la pièce de vin, toutes choses qui échappaient à sa vieille tête. Germinie ne se rappelait plus rien. Le soir, quand elle comptait avec mademoiselle, elle ne pouvait retrouver ce qu’elle avait acheté le matin ; elle disait : Attendez !… et après un geste vague, rien ne lui revenait. Mademoiselle, pour ménager ses yeux fatigués, avait pris l’habitude de se faire lire par elle le journal : Germinie arriva à tellement ânonner, à lire avec si peu d’intelligence, que mademoiselle fut obligée de la remercier.

Son intelligence allant ainsi en s’affaissant, son corps aussi s’abandonnait et se délaissait. Elle renonçait à la toilette, à la propreté même. Dans son incurie, elle ne gardait rien des soins de la femme ; elle ne s’habillait plus. Elle portait des robes tachées de graisse et déchirées sous les bras, des tabliers en loques, des bas troués dans des savates avachies. Elle laissait la cuisine, la fumée, le charbon, le cirage, la souiller et s’essuyer après elle comme après un torchon. Autrefois, elle avait eu la coquetterie et le luxe des femmes pauvres, l’amour du linge. Personne dans la maison n’avait de bonnets plus frais. Ses petits cols, tout unis et tout simples, étaient toujours de ce blanc qui éclaire si joliment la peau et fait toute la personne nette. Maintenant elle avait des bonnets fatigués, fripés, avec lesquels