Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remontant de chez l’épicier une bouteille d’eau-de-vie.

Depuis deux semaines, elle était maîtresse de l’appartement, libre de ses ivresses et de ses abrutissements. Mlle de Varandeuil, qui d’habitude ne bougeait guère, était, par extraordinaire, allée passer six semaines chez une de ses vieilles amies en province ; et elle n’avait pas voulu emmener Germinie avec elle, par crainte de donner aux autres domestiques le mauvais exemple et la jalousie d’une bonne habituée aux douceurs du service et traitée sur un autre pied qu’eux.

Entrée dans la chambre de mademoiselle, Germinie ne prit que le temps de jeter à terre son châle et son chapeau, et elle se mit à boire, le goulot de la bouteille d’eau-de-vie entre les dents, à gorgées précipitées jusqu’à ce que tout dans la chambre tournât autour d’elle, et qu’il n’y eût plus rien de la journée dans sa tête. Alors, chancelante, se sentant tomber, elle voulut se mettre sur le lit de sa maîtresse pour dormir ; l’ivresse la jeta de côté sur la table de nuit. De là, elle roula à terre, ne remua plus : elle ronflait. Mais le coup avait été si violent que dans la nuit elle eut une fausse couche, suivie d’une de ces pertes par où la vie s’écoule. Elle voulut se relever, aller appeler sur le carré, elle essaya de se mettre sur ses pieds : elle ne le put pas. Elle se sentait glisser à la mort, y entrer, y descendre avec une lenteur molle. Enfin, s’arrachant un dernier effort, elle se traîna jusqu’à