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Elle ne se plaignait plus, elle ne pleurait plus, elle ne récriminait plus. Elle renonçait à une lutte avec cet homme armé de froideur, qui savait si bien, avec ses ironies glacées de voyou, outrager sa passion, sa déraison, ses folies de tendresse. Et elle se mettait à attendre dans une angoisse résignée, quoi ? Elle ne savait : peut-être qu’il ne voulût plus d’elle !

Navrée et silencieuse, elle épiait Jupillon ; elle le guettait, elle le surveillait ; elle essayait de le faire parler, en jetant des mots dans ses distractions. Elle tournait autour de lui, ne voyait, ne saisissait, ne surprenait rien, et cependant elle restait persuadée qu’il y avait quelque chose et que ce qu’elle craignait était vrai : elle sentait une femme dans l’air.

Un matin, comme elle était descendue de meilleure heure qu’à son habitude, elle l’aperçut à quelques pas devant elle sur le trottoir. Il était habillé ; il se regardait en marchant. De temps en temps, pour voir le vernis de ses bottes, il levait un peu le bas de son pantalon. Elle se mit à le suivre. Il allait tout droit sans se retourner. Elle arriva derrière lui à la place Bréda. Il y avait sur la place, à côté de la station de voitures, une femme qui se promenait. Germinie ne la voyait que de dos. Jupillon alla à elle, la femme se retourna : c’était sa cousine. Ils se mirent à marcher à côté l’un de l’autre, allant et revenant sur la place ; puis par la rue Bréda ils se dirigèrent vers la rue de Navarin. Là, la jeune