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souffrance de la créature. Maintenant les rares joies qu’avait encore Germinie étaient des joies folles, des joies dont elle sortait ivre et avec les caractères physiques de l’ivresse. — Mais, ma fille, ne pouvait s’empêcher de lui dire Mademoiselle, on croirait que tu es grise. — Pour une fois qu’on s’amuse, répondait Germinie, mademoiselle vous le fait bien payer. Et quand elle retombait dans ses peines, dans ses chagrins, dans ses inquiétudes, c’était une désolation plus intense encore, plus furieuse et délirante que sa gaieté.

Le moment était arrivé où la terrible vérité, entrevue, puis voilée par des illusions dernières, finissait par apparaître à Germinie. Elle voyait qu’elle n’avait pu attacher Jupillon par le dévouement de son amour, le dépouillement de tout ce qu’elle avait, tous ces sacrifices d’argent qui engageaient sa vie dans l’embarras et les transes d’une dette impossible à payer. Elle sentait qu’il lui apportait à regret son amour, un amour où il mettait l’humiliation d’une charité. Quand elle lui avait annoncé qu’elle était une seconde fois grosse, cet homme, qu’elle allait faire encore père, lui avait dit : Eh bien ! c’est amusant les femmes comme toi ! toujours pleine ou fraîche vide alors !… Il lui venait les idées, les soupçons qui viennent au véritable amour quand on le trompe, les pressentiments de cœur qui disent aux femmes qu’elles ne sont plus seules à posséder leur amant, et qu’il y en a une autre parce qu’il doit y en avoir une autre.