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de l’argent de pauvre, de l’argent de travail, de l’argent de tirelire, de l’argent sali par des mains sales, fatigué dans le porte-monnaie de cuir, usé dans le comptoir plein de sous, — de l’argent sentant la sueur. Un moment, elle regarda tout ce qui était étalé comme pour se convaincre les yeux ; puis avec une voix triste et douce, la voix de son sacrifice, elle dit simplement à Mme Jupillon :

— Ça y est… C’est les deux mille trois cents francs… pour qu’il se rachète…

— Ah ! ma bonne Germinie ! fit la grosse femme en suffoquant sous une première émotion ; et elle se jeta au cou de Germinie qui se laissa embrasser. Oh ! vous allez prendre quelque chose avec nous, une tasse de café…

— Non, merci, dit Germinie, je suis rompue… Dame ! j’ai eu à courir, allez, pour les trouver… Je vais me coucher… Une autre fois…

Et elle sortit.

Elle avait eu « à courir », comme elle disait, pour rassembler une pareille somme, réaliser cette chose impossible : trouver deux mille trois cents francs, deux mille trois cents francs dont elle n’avait pas les premiers cinq francs ! Elle les avait quêtés, mendiés, arrachés pièce à pièce, presque sou à sou. Elle les avait ramassés, grattés ici et là, sur les uns, sur les autres, par emprunts de deux cents, de cent francs, de cinquante francs, de vingt francs, de ce qu’on avait voulu. Elle avait emprunté à son portier, à son épicier, à sa fruitière, à sa