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Ce n’est pas gai, sais-tu ? ta petite avenue Trudaine.

— Marchons, répondit Germinie.

Et elle recommença, sans parler, sa marche saccadée, violente, agitée de tous les tumultes de son âme. Ses pensées passaient dans ses gestes. L’égarement venait à son pas, la folie à ses mains. Par moments, elle avait, derrière elle, l’ombre d’une femme de la Salpêtrière. Deux ou trois passants s’arrêtèrent un instant, la regardèrent, puis, comme ils étaient de Paris, passèrent.

Tout à coup elle s’arrêta, et faisant un geste de résolution désespérée : — Ah ! mon Dieu, une épingle de plus dans la pelote, fit-elle. — Allons !

Et elle prit le bras de Jupillon.

— Oh ! je sais bien, lui dit Jupillon quand ils furent près de la crèmerie, ma mère n’a pas été juste pour toi. Vois-tu, elle a été trop honnête toute sa vie, cette femme… Elle ne sait pas, elle ne comprend pas… Et puis, tiens, je vais te dire, moi, le fond de tout : c’est qu’elle m’aime tant qu’elle est jalouse des femmes qui m’aiment… Entre donc, va !

Et il la poussa dans les bras de Mme Jupillon qui l’embrassa, lui marmotta quelques paroles de regret, et se dépêcha de pleurer pour se tirer d’embarras et faire la scène plus attendrissante.

Tout ce soir-là, Germinie resta les yeux fixés sur Jupillon, l’effrayant presque avec son regard.

— Allons, lui dit-il en la reconduisant, ne sois donc pas bonnet de nuit comme ça… Il faut une