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XXIV.


À la suite de cette crise, Germinie tomba dans un abrutissement de douleur. Pendant des mois, elle resta insensible à tout ; pendant des mois, envahie et remplie tout entière par la pensée du petit être qui n’était plus, elle porta dans ses entrailles la mort de son enfant comme elle avait porté sa vie. Tous les soirs, quand elle remontait dans sa chambre, elle tirait de la malle placée au pied de son lit le béguin et la brassière de sa pauvre chérie. Elle les regardait, elle les touchait ; elle les étendait sur sa couverture ; elle restait des heures à pleurer dessus, à les baiser, à leur parler, à leur dire les mots qui font causer le chagrin d’une mère avec l’ombre d’une petite fille.

Pleurant sa fille, la malheureuse se pleurait elle-même. Une voix lui murmurait que, cet enfant vivant, elle était sauvée ; que cet enfant à aimer, c’était sa Providence ; que tout ce qu’elle redoutait d’elle-même irait sur cette tête et s’y sanctifierait, ses tendresses, ses élancements, ses ardeurs, tous les feux de sa nature. Il lui semblait sentir d’avance son cœur de mère apaiser et purifier son cœur de femme. Dans sa fille, elle voyait je ne sais quoi de