Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

confitures… Allons, mes deux œufs, en poste, et décampe… Hein, quoi, ça te chiffonne ?.. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Moi ?.. mais pas du tout, eut la force de dire Germinie.

Tout ce long jour, elle le passa au feu des bassines, au ficèlement des pots, dans la torture des gens que la vie cloue loin du mal de ceux qu’ils aiment. Elle eut le déchirement des malheureux qui ne peuvent aller où sont leurs inquiétudes, et creusant jusqu’au fond le désespoir de l’éloignement et de l’incertitude, se figurent à toute minute qu’on va mourir sans eux.

En ne trouvant pas de lettre le jeudi soir, pas de lettre le vendredi matin, elle se rassura. Si la petite allait plus mal, la nourrice lui aurait écrit. La petite allait mieux ; elle se la figurait sauvée, guérie. Cela manque toujours de mourir, et cela reprend si vite, les enfants ! Et puis la sienne était forte. Elle se décida à attendre, à patienter jusqu’au dimanche dont elle n’était plus séparée que par quarante-huit heures, trompant le reste de ses craintes avec les superstitions qui disent oui à l’espérance, se persuadant que sa fille était « réchappée, » parce que le matin la première personne qu’elle avait rencontrée était un homme, parce qu’elle avait vu dans la rue un cheval rouge, parce qu’elle avait deviné qu’un passant tournerait à telle rue, parce qu’elle avait remonté un étage en tant d’enjambées.