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toure, dans les quartiers de lorettes, la domestique qui sert honnêtement une personne honnête. On l’avait habituée à des égards, à des déférences, à des attentions. Elle était à part de ses camarades. Sa probité insoupçonnable, sa conduite dont il n’y avait rien à dire, sa position de confiance chez mademoiselle, ce qui rejaillissait sur elle de l’honorabilité de sa maîtresse, faisaient que les marchands la traitaient sur un autre pied que les autres bonnes. On lui parlait la casquette à la main ; on lui disait toujours : mademoiselle Germinie. On se dépêchait de la servir ; on lui avançait l’unique chaise de la boutique pour la faire attendre. Lors même qu’elle marchandait, on restait poli avec elle, et on ne l’appelait pas râleuse. Les plaisanteries un peu trop vives s’arrêtaient devant elle. Elle était invitée aux grands repas, aux fêtes de famille, consultée sur les affaires.

Tout changea dès que furent connues ses relations avec Jupillon, ses assiduités à la Boule-Noire, Le quartier se vengea de l’avoir respectée. Les bonnes éhontées de la maison s’approchèrent d’elle comme d’une semblable. Une, dont l’amant était à Mazas, lui dit : « Ma chère. » Les hommes l’abordèrent avec familiarité, la tutoyèrent du regard, du ton, du geste, de la main. Les enfants mêmes, sur le trottoir, autrefois dressés à lui faire « un beau serviteur, » se sauvèrent d’elle comme d’une personne dont on leur avait dit d’avoir peur. Elle se sentait traitée sous la main, servie à la diable. Elle ne pou-