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Sur la place, un grand palais, tout démantelé, tout ravagé, aux énormes trous non rebouchés, dans lequel est encastrée une ornementale fontaine de Jean de Bologne, où sous une statue en pied d’un pape en bronze vert, des femmes élégamment longues, et nonchalamment renversées, pressent des deux mains leurs seins, petits et drus, comme des seins de vierge.

En cette ville, l’arcade s’empare de toutes les rues, et met, sous ces voûtes à la Granet, une ombre, où une étroite lumière filtre çà et là, sur les tons verdâtres des murs, faisant de cette ville du soleil, la ville du clair-obscur. C’est bien la patrie du talent « clair obscur » de Guerchin, qui enduisant ses toiles d’une préparation de poudre de marbre, recouverte de glacis, obtenait d’être nommé le magicien de la couleur. Mais, au bout de cinquante ans, la préparation est tombée, et Guerchin n’est plus que le coloriste de la nuit.

Partout dans la ville, des mendiants, et non des mendiants errants à l’aventure, mais des mendiants à poste fixe, en possession, sur des chaises boiteuses, d’un endroit leur appartenant, ainsi qu’une concession à perpétuité ; et des fiévreux claquant des dents, sous leurs frusques rousses ; et des aveugles, sans âge, qui remuent