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roux à la Decamps, et partout, sur les balcons et aux fenêtres, les nippes de la famille, étalées pour sécher, — car là, il n’y a pas la pudeur du linge.

Une place, qui a un pittoresque entour d’habitations, aux galeries cintrées des étages supérieurs, à l’arcature du rez-de-chaussée soutenue par des colonnes, dont quelques-unes sont anciennes. Au milieu de cette architecture baroque, vaguant et musant, des femmes, au foulard noue derrière la tête et leur mangeant les yeux, le torse pris dans une espèce de soutane de curé, à la taille trop courte, et qui leur donne l’air hommasse, — des femmes perpétuellement marmottantes, et comme mâchonnant des prières.

En ce petit monde de femmes, toutes coiffées de rouge ou de jaune orange, d’hommes habillés de couleur tabac d’Espagne, circulent, dans leurs souliers silencieux, des individus, au gigantesque tricorne, aux yeux perçants, une paire d’énormes lunettes sur leurs grands nez décharnés, un manteau à collet montant jusqu’aux lèvres blanches d’une bouche sarcastique, descendant jusqu’aux genoux, et d’où parlent deux jambes maigres, enfermées en un bas noir : deux bâtons de fusain, emmanchés dans de lourdes chaussures aux boucles d’argent. Du manteau, une main s’échappant d’un pli, tient un gros parapluie de campagne : des individus étranges, et qui font un peu peur, et qu’un prendrait pour des caricatures ecclé-