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tout en ayant l’air de se couvrir le visage avec sa main, afin de ne pas voir la nudité de Noé, regarde entre ses doigts. De là, le proverbe pisan : come la vergognosa di Campo Santo.

Dans l’élévation de la Tour de Babel, Gozzoli fait preuve d’un dessin anatomique des musculatures très savant, et parmi toutes les poses des bâtisseurs du monument surhumain, c’est plaisir à voir le contournement bossué des corps, le raidissement cordé des nerfs, les beaux raccourcis des efforts de la Force.

Cette composition a un autre intérêt, elle renferme une représentation de Babylone, et cette représentation nous donne l’idée qu’on se faisait alors de cette cité, pour ainsi dire légendaire. Elle est représentée avec des portes crénelées, comme celles d’Aigues-Mortes, avec une tour, comme celle du Vieux Palais de Florence, et avec tous les Arcs de Triomphe et tous les Dômes et toutes les églises de l’antiquité romaine et du moyen âge italien.

Du reste Benozzo Gozzoli est dans sa peinture, l’architecte d’architectures d’une richesse, d’une pompe, d’une splendeur inouïe. Ce ne sont, dans le fond de ses compositions du Campo Santo, que palais de marbre de toutes couleurs, que campaniles montant dans le ciel, dont ils laissent passer le bleu par toutes les percées, que tours ceintes de colonnes, comme une ronde de danseuses, se donnant la main par-dessus leurs têtes,