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ques guenilles de chair et de peau : trois cadavres à la décomposition rapide, qu’amenait, selon la croyance populaire, la terre sainte rapportée de Jérusalem sur les vaisseaux de Venise, et dont on avait fait la terre de sépulture du Campo Santo.

Et l’odeur de ces trois cadavres faisait se boucher les narines aux hommes et aux femmes, tendre aux chevaux le cou dans un hennissement inquiet, et aux chiens flairer le sol, le nez en terre. Dans « le Jugement dernier » d’André Orcagna, aux côtés du Christ, la main droite levée dans un maudissement des damnés, que repousse, avec de grandes épées d’argent, la gendarmerie des anges, la Vierge, dans sa robe blanche aux reflets roses, a un geste de tendre commisération pour les maudits : double pantomime qu’a reprise et introduite Michel Ange dans son « Jugement dernier » de la chapelle Sixtine. « L’Enfer », de Léonard Orcagna, c’est la coupe de ce carcere duro, qui aurait quatre étages de tourments, et pour pilier de l’immense palais de douleur, un gigantesque monstre jaune et vert, cornu comme un bœuf, aux entrailles de braise, toute braisillante. Sous sa direction, des malheureux, mitrés de blanc, tournent à une broche, passée à travers deux bouches de damnés, et en attendant l’heure de rôtir, des paquets de damnés sont ficelés avec des serpents qui leur mangent le sein, pendant que des diables assis à cali-