Page:Goncourt, L'Italie d'hier, 1894.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Tout un peuple mis dans une gaieté en enfance, par un baladement bête dans les rues, par l’imitation de la pratique faussée d’un polichinelle : tout un peuple ne trouvant dans la fièvre de sa folie carnavalesque, pour repartie spirituelle, qu’un coup de son petit fouet ou d’une cuiller à pot sur un gibus.

Là-dessus, le soir, les fameux Veglioni, dans les salles de théâtre, illuminées, a giorno, les Veglioni, aux rafraîchissements ne dépassant pas, en monnaie du pays, la somme de sept sous, aux danses honnêtes, aux réunions de ménages emmenant les tout petits : bals aux incidents anodins, comme le spectacle de deux masques se soufflant en mesure dans le nez, comme l’extraordinaire libéralité d’un verre de marsala, offert par un des beaux de la loge aristocratique à une femme, un moment suspendue à la rampe de la loge ; bals sans roman, sans intrigue, sans blessures à l’honneur des maris, bals où les femmes du monde qui ont perdu leurs cavaliers ne sont pas tutoyées par des mains masculines, où le papier des loges ne rougit pas de confusion, où l’unique sergent de ville suffisant à l’inspection des pas risqués, est le ministre de la police en personne, et où j’ai entendu de mes oreilles cette phrase : « Albertine, fais donc danser ton frère ! » Le Carnaval de Florence, c’est une fête nationale de la famille, une réjouissance morale ayant l’innocence de ces divertissements d’enfants qui ont été bien sages.