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LES MÉDECINS


rieuses qualités morales. Il ne manquait sans doute pas de charlatans et d’ignorants présomptueux dans une confrérie dont les membres pouvaient aspirer à des gains aussi élevés et à de si rares honneurs. Mais la majorité était formée de médecins qui à l’honorabilité alliaient la valeur scientifique, et qui avaient pleine conscience de la hauteur de leur mission. Aussi ces parasites de la médecine furent-ils toujours tenus en respect, et même souvent expulsés de la corporation.

Au début de notre étude, nous rencontrons un document que son âge n’est pas seul à rendre respectable : le serment des médecins. C’est une pièce de la plus haute valeur pour l’histoire de la civilisation ; elle renferme des renseignements précieux sur l’organisation intérieure de la confrérie, et sur les règles auxquelles les médecins étaient tenus de se conformer. Nous y saisissons sur le fait le passage du régime de la caste fermée à celui du libre exercice de l’art. L’étudiant promet d’honorer son maître à l’égal de ses parents, de lui prêter secours toutes les fois qu’il en aura besoin, et d’en instruire gratuitement les descendants s’ils choisissent la même profession que lui. A part cela, il ne peut former à la médecine que ses propres fils et les jeunes gens qui se lieront à lui par contrat et par serment. Il jure d’assister les malades « selon sa science et son pouvoir », et de s’abstenir de la manière la plus rigoureuse de tout emploi blâmable ou criminel des moyens thérapeutiques. Il ne donnera pas de poison, même à ceux qui lui en demandent ; ne fournira aux femmes aucun abortif, et enfin ne pratiquera pas — même là où la guérison paraîtrait la demander — l’opération de la castration, que réprouvait si vivement le sentiment populaire de la Grèce. Enfin il promet de s’abstenir de tous les abus que sa position lui permettrait de commettre, et spécialement des abus érotiques à l’égard des libres ou des esclaves des deux sexes, et il s’engage à garder inviolablement tous les secrets auxquels il peut être initié dans l’exercice de sa profession ou même en dehors 1[1]. C’est pas ces engagements, et par de réitérées et solen-

  1. 1 Voir ce serment dans les Œuvres d’Hippocrate, trad. E. Littré, IV 628 sq. Je trouve l’interdiction de la castration dans les mots ού τεμέωδέ ούδέ μήν λιθιώνταζ, qui ne peuvent se traduire que comme ceci : « Je ne couperai pas, pas même ceux qui souffrent d’indurations pierreuses. » Or, comme une défense générale d’opérer serait incompréhensible à une époque où « le fer et le feu » étaient les principaux insignes de la pratique médicale, il ne reste d’autre alternative que de prendre le mot τέμνειν dans un sens particulier, c’est-à-dire dans celui d’émasculer, où il est d’ailleurs employé par Hésiode,