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LES PENSEURS DE LA GRÈCE


manière si parfaite qu’il n’est guère possible de douter de leur identité originelle 1[1]. Nous avons aussi conservé de la plus ancienne pratique de la médecine en Inde un agréable tableau dans la Chanson d’un Médecin. Le guérisseur s’en va gaîment à travers la campagne avec son élégante boîte de drogues en bois de figuier ; il souhaite pleine guérison à ses malades, et à lui-même de beaux honoraires, puisqu’il est obligé d’avoir habit, bœuf et cheval. Ses « herbages détruisent tout ce qui afflige le corps » et « la maladie fuit devant eux comme devant les griffes de l’huissier ». D’ailleurs il ne se qualifie pas seulement d’ « expulseur de la maladie », mais encore de « tueur de démons 2[2] ». En effet, en Inde comme partout ailleurs autrefois, la maladie était regardée soit comme une punition envoyée par Dieu, soit comme l’œuvre de démons hostiles, soit enfin comme la conséquence des malédictions et des maléfices des hommes. La colère de la divinité offensée doit être apaisée par des sacrifices et des prières ; le génie malfaisant est adouci par des paroles aimables ou conjuré par des exorcismes ; pareillement, le mauvais sort est combattu par des sortilèges contraires, et, si possible, reporté sur celui qui l’a jeté. À côté des formules de conjuration, des amulettes et des actes symboliques, les herbes médicinales et les onguents trouvent aussi leur emploi, et il n’est pas rarç que l’on recoure à un seul et même remède contre les maux les plus divers. Tout cela est vrai de la médecine hindoue, telle qu’elle nous est révélée en particulier par l’Atharva-Véda, mais cela ne l’est pas moins de celle de tous les peuples naturels, ainsi que de la médecine populaire du moyen âge et même des temps modernes. • i si ce n’est contemporains. Le champ de l’élément fantastique y est d’autant plus grand que le choix des médicaments est déter— / miné également, si non plus, par l’association des idées que par l’expérience spécifique. L’eufraise passait pour guérir les maux d’yeux parce que sa corolle porte une tache noire qui fait songer à la pupille, tandis que la couleur rouge de l’hématite paraissait la désigner pour arrêter l’hémorrhagie. Poyr empêcher les cheveux de blanchir, il fallait, à en croire les Égyptiens, recourir au sang d’animaux noirs, et aujourd’hui encore, en Styrie,

  1. « Cette formule de bénédiction indo-européenne est due à Ad. Kuhn, Zeitschr. f. vergt. Sprachforschung, XIII 49. »
  2. 2 La « chanson d’un médecin » a été traduite par Roth, dans Grassmann, Rig-Véda, X 97 (vol. II 378 sq.). À ce sujet et au sujet de la plus ancienne médecine hindoue, cf. Zimmer, Altindisches Leben, 375, 394, 396, 398, 399.