Page:Gomperz - Les penseurs de la Grèce, Vol 1, 1908.djvu/310

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
293
LES MÉDECINS


conditions favorables qui a valu à l’esprit grec sa prééminence et lui a permis de se placer et de se maintenir au premier rang dans le domaine de la recherche scientifique. Au point de développement où nous sommes maintenant arrivés, la faculté critique, malgré le puissant essor qu’elle avait pris, avait besoin de se fortifier encore davantage. Nous avons appris à connaître les deux courants qui l’avaient alimentée : les discussions métaphysiques et dialectiques engagées par les Éléates, et la critique semi-historique des légendes, telle que l’ont pratiquée Hécatée et Hérodote. Un troisième courant est sorti des écoles des médecins. Celles-ci prirent pour tâche d’éliminer de l’étude et de la science de la nature l’élément d’arbitraire qui était, en une mesure plus ou moins grande, mais pour ainsi dire sans exception et en raison d’une nécessité interne, inséparable de leurs débuts.En invitant à une observation plus attentive des faits, la médecine mettait en garde contre les généralisations prématurées ; en exerçant la perception des sens et en inspirant en elle plus de confiance, elle poussait à rejeter les fictions insoutenables, produits d’une imagination excessive ou de la spéculation a priori : tels sont les principaux fruits que nous verrons résulter de la pratique de la médecine. Mais avant de porter nos regards sur celle-ci et d’étudier l’influence qu’elle a eue sur la pensée de l’époque, nous devons envisager les rudiments de cette branche de la science, ses auteurs et ses représentants.

« Un homme habile à guérir vaut plusieurs hommes (01)[1] », tel est l’éloge par lequel la profession médicale est saluée au seuil de la littérature grecque, et que la postérité ne devait pas démentir. La médecine des peuples naturels est issue de superstitions grossières, et d’une expérience à peine moins grossière, ordinairement incapable de bien interpréter les faits. C’est un informe mélange d’exorcismes et de pratiques, les unes absurdes, les autres efficaces, quoique dictées par des observations à peine analysées. Le « médecin » des sauvages est pour une bonne moitié un conjureur, et pour le reste le gardien des vieux secrets de la corporation, secrets qui reposent sur un empirisme vrai ou seulement apparent. L’art médical du peuple indo-européen primitif n’avait sans doute guère dépassé ce niveau. Nous en possédons encore un souvenir dans une formule de bénédiction dont les rédactions germanique et indienne concordent d’une

  1. 1 Iliade, XI 514.