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à ce que nous pouvons appeler le secret primordial de la mécanique. La gravitation (dont il se faisait d'ailleurs une idée incomplète, puisqu'elle impliquait l'absolue légèreté de certaines matières) ne lui paraissait suffisante pour expliquer ni la séparation des masses de matière, ni la naissance, la permanence, et les mouvements des astres et du ciel. Il en déduisait l'action d'une force opposée qui, directement ou indirectement, dégage une série d'effets indispensable à l'intelligence des phénomènes universels. Et parmi ses effets indirects, il rangeait en premier lieu l'occasion qu'elle fournit à la force centrifuge de se manifester. Quant à l'origine de cette force, elle lui paraît enveloppée d'une impénétrable obscurité. Il la réduit à un choc destiné à compléter l'effet de la gravitation, tout comme l'est le choc dans lequel les prédécesseurs de Laplace ont cru trouver le point de départ de la force tangentielle.



III

Anaxagore - et cela montre son esprit vraiment scientifique, - ne recule pas, il est vrai, devant les hypothèses les plus hardies quand les faits ne lui laissent pas d'autre choix ; mais grâce à la vigueur de sa pensée, il sait leur donner la forme qui satisfait au. plus grand nombre d'exigences. Ainsi se distinguent aussi les produits les plus parfaits de la législation. Un minimum d'hypothèses doit expliquer un maximum de faits. A quel degré il y a réussi en recourant à cette unique et presque surnaturelle intervention, c'est ce qu'a suffisamment montré le chapitre précédent. A la même tendance d'esprit se rattache la mémorable tentative qu'il a faite, et que nous devons à cause de cela mentionner ici, pour expliquer la supériorité intellectuelle de l'homme. Anaxagore la réduit à la possession d'un seul organe, la main ; et il comparait sans doute celle-ci au membre correspondant des animaux les plus rapprochés de nous par leur structure. Ceci nous rappelle le mot de Benjamin Franklin sur « l'être qui crée des outils ». Il est possible que cette déduction, dont nous ne connaissons pas les détails, substituât la partie au tout ; mais elle nous fait voir en lui, profondément enracinée, la crainte d'entasser les différences spécifiques et les faits primordiaux inexplicables, et cette crainte, plus que tout autre trait, distingue de sa contrefaçon la physionomie du vrai penseur.