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comme les supports d'une intelligence universelle qui, il est vrai, ne se proposait aucun but ; c'est ainsi que les neuf dixièmes des philosophes de l'antiquité ont vu dans l'« âme » individuelle non pas une substance immatérielle, mais une substance matérielle extrêmement subtile et mobile. Mais la théorie avec laquelle a fait son apparition le problème de la finalité, qui ne devait plus disparaître des préoccupations, renfermait un sérieux danger pour le progrès des sciences de la nature. Heureusement, le penseur ultra-conséquent d'habitude s'est montré, cette fois, inconséquent. Aristote, aussi bien que Platon, le blâme à ce propos ; tous deux se déclarent tout à fait ravis de l'introduction de ce nouvel agent, mais peu édifiés du rôle de bouche-trou ou d'expédient qui lui est attribué. Anaxagore, disent-ils, emploie le Nous comme le poète dramatique emploie le Deus ex machina qu'il fait descendre du ciel pour trancher violemment le nœud de l'intrigue lorsqu'il ne trouve aucun moyen plus doux de terminer la pièce. Mais, dans l'explication du détail, il préfère recourir «aux airs, aux courants éthérés et à d'autres choses singulières » ; bref, à n'importe quoi plutôt qu'à son fluide intelligent. Ainsi parlent Aristote et Platon 05 . Pourtant, s'il avait agi autrement, si, comme l'aurait voulu ce dernier, il avait poursuivi ses recherches en se plaçant complètement au point de vue du « meilleur », si, à propos de chaque phénomène particulier, au lieu de se demander comment et dans quelles conditions il se produit, il s'était demandé pourquoi et dans quel but, alors sa contribution au trésor de la science humaine eût été incomparablement plus modeste qu'elle ne l'a été en réalité. Mais il sut éviter ce sentier d'illusion ; il semble avoir compris que l'étroitesse de notre horizon intellectuel nous empêche de deviner jamais les intentions de l'Être qui gouverne le monde. Il n'a été qu'un demi-théologien, mais un naturaliste complet, quoique ses facultés, à cet égard, fussent très inégalement développées. Son siècle l'a même considéré comme le modèle du naturaliste, pour cette raison surtout, sans doute, que la théologie nouvelle, si l'on peut donner ce nom à la doctrine du Nous, l'a complètement dégagé des liens de l'ancienne mythologie.

Pour lui, les grands objets de la nature n'étaient plus des êtres divins, mais seulement des masses matérielles obéissant