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les penseurs de la grèce

II

La cosmogonie d’Anaxagore se meut jusqu’à un certain point dans les voies frayées par Anaximandre, et que ses successeurs n’ont guère abandonnées[1]. Au commencement, pour lui aussi, règne une sorte de chaos. Mais, au lieu d’une matière primordiale unique, nous sommes en présence d’un nombre indéfini de matières primitives, également étendues au delà de toute limite : « Toutes choses étaient réunies » ; les particules primitives, infiniment petites, entassées pêle-mêle, formaient la confusion initiale. Il eût été impossible de les distinguer les unes des autres, en quoi elles rappelaient l’indétermination primitive de l’Être universel d’Anaximandre. Douées dès le principe de qualités matérielles particulières, les « semences » ou éléments — n’avaient pas besoin d’être différenciées dynamiquement, mais seulement d’être séparées mécaniquement. Anaxagore ne se croyait pas tenu d’imaginer le phénomène physique nécessaire à cet effet ou de le construire d’après des analogies connues ; il croyait le voir dans un mouvement qui se passe encore aujourd’hui, et que notre œil peut observer tous les jours, toutes les heures : dans la révolution apparente du ciel. Non seulement cette révolution a opéré à l’origine la première séparation des particules matérielles ; elle continue à l’opérer encore dans d’autres parties de l’espace universel. Cette tentative de rattacher le passé le plus reculé au présent immédiat, et celui-ci à l’avenir le plus lointain, dénote la ferme conviction que les forces agissantes de l’Univers sont toujours les mêmes, que les phénomènes auxquels elles donnent naissance sont réguliers et constants ; et cette conviction, bien faite pour exciter en nous l’étonnement le plus vif, contraste de la manière la plus saisis-

  1. Sur la cosmogonie d’Anaxagore, cf. l’instructive discussion de W. Dilthey (Einleitung in die Geisteswissenschaft I 200 sq.). Je ne puis cependant, pas plus que Zeller (Ph. d. G. I 5e éd. 1002 n.), me ranger à l’opinion que l’Univers, selon Anaxagore, ait la forme d’un cône. On peut sans doute attribuer avec probabilité au Klazoménien l’idée que la sphère céleste, produite par rotation (περιχώρησις), gagne en circonférence dans la mesure où des masses de matières toujours plus grandes entrent en mouvement. Il n’est peut-être pas sans utilité de rappeler qu’Anaxagore ne semble en tout cas rien savoir d’une sphère céleste matérielle ou d’un ciel matériel des étoiles fixes. Même là où l’on serait le plus en droit d’en attendre la mention (ainsi frg. 8 Schaub), il n’y a pas la moindre allusion à une représentation de cette nature.