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de grâce. Il l’avait publiée après 467, date de la chute d’une météorite, car il y mentionne ce fait ; son livre est, soit dit en passant, le premier livre pourvu de figures que la littérature grecque ait possédé.

Le problème de la matière l’a préoccupé, comme il avait préoccupé avant lui ses compatriotes ioniens. Mais la solution qu’il y a donnée est tout à fait originale ; elle le sépare entièrement de ses prédécesseurs et fournit en même temps la preuve que le mouvement critique inauguré par les Éléates n’avait exercé sur lui aucune espèce d’influence. S’il a connu le poème didactique de Parménide, le contenu en a glissé sur son esprit sans y laisser la moindre trace. Car pas une syllabe des fragments que nous possédons de lui, pas un mot des témoignages antiques qui les complètent ne fournit le plus léger indice qu’il ait — pour ne pas parler du reste — pris garde aux doutes exprimés avec tant de force par Parménide sur la valeur du témoignage des sens et sur la multiplicité des choses, le plus léger indice qu’il ait fait une tentative quelconque pour les combattre. Tout au contraire. Sa confiance absolue dans les indications fournies par les sens forme la base de son système ; et ce n’est pas la simple multiplicité des choses, mais une foule inépuisable d’entités radicalement différentes dès le principe qui en constitue le caractère distinctif. On est d’autant plus surpris, au moins au premier moment, de le voir prendre exactement la même position que Parménide relativement au double postulat que nous venons d’exposer si longuement. Pas de naissance ni de destruction, pas de changements de propriétés. « Les Grecs ont tort de parler de naissance et de destruction. Car aucune chose ne naît et aucune ne périt, mais chacune se forme par mélange des objets existants, et se résout en eux par séparation. Ils auraient donc plus de raison de donner à la naissance le nom de mélange, et à la destruction celui de séparation ». Nous avons déjà appris comment le second et le plus récent de ces postulats (que nous avons déjà vu poindre chez Anaximène) a pu sortir du premier, « de l’ancienne et commune doctrine des physiciens, qui n’a été combattue d’aucun côté », pour citer encore une fois les mots significatifs d’Aristote ; quant à la question de savoir comment, en fait, la pensée d’Anaxagore l’en a fait sortir, nous n’en sommes plus réduits à des suppositions depuis qu’un court fragment de son œuvre, longtemps négligé malgré l’importance de son contenu, a jeté une pleine lumière sur ce point. La nature des