Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/60

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je ne me souciais point d’une connaissance si disproportionnée, et, d’un signe de tête, j’essayai de prévenir le consentement de mes filles ; mais un autre signe de la mère neutralisa le mien, et, d’un air tout ravi, elles nous chantèrent une romance de Dryden, leur morceau favori. M. Thornhill parut fort content du choix et de l’exécution : il prit lui-même la guitare, et en joua très-médiocrement. Toutefois, ma fille aînée lui rendit avec usure ses applaudissements : « Vos notes, lui dit-elle, sont plus pleines même que celles de mon maître ! » Il s’inclina ; elle répondit par une révérence : il vanta son goût ; elle loua son sens exquis. Au bout d’un siècle ils n’eussent pas été meilleurs amis. La pauvre mère, aussi heureuse que sa fille, supplia le jeune gentleman d’entrer, d’accepter un verre de bon vin de groseilles. Toute la famille s’empressait à lui plaire : mes filles cherchaient à l’entretenir de tout ce qui leur semblait le plus moderne. Moïse, au contraire, lui fit sur les anciens une ou deux questions qui lui valurent le plaisir de voir tout le monde lui rire au nez. Mes deux marmots, non moins affairés, s’accrochaient très-tendrement à l’étranger. Tous mes efforts ne pouvaient empêcher leurs petits doigts sales de toucher et de ternir les galons de son habit, et de soulever les pattes de ses poches pour voir ce qu’il y avait dedans. Sur le soir, il prit congé, mais après avoir demandé la permission de revenir ; elle lui fut accordée sans peine : il était notre propriétaire !

Dès qu’il fut parti, ma femme tint conseil sur les événements de la journée. Son avis fut que c’était un hasard très-heureux ; car des choses bien plus étranges avaient fini par tourner à bien. Elle espérait revoir le jour où nous pourrions lever la tête aussi haut que les plus huppés. Conclusion… Si les deux miss Wrincklers épousaient de magnifiques fortunes, elle ne voyait pas pourquoi ses enfants, à elle, ne trouveraient rien !… « Ni moi non plus, répondis-je (car ce dernier trait était pour moi) : comme, à la loterie, je ne vois pas pourquoi, quand M. Simkins vient de gagner le lot de dix mille livres sterling,