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heur dont vous vous flattez. Le bonheur !… oh ! je le crains bien, il n’y en a plus ici-bas pour moi. J’ai hâte d’être hors de ce monde où je n’ai trouvé que malheur. Je vous en supplie, mon père, consentez à faire à M. Thornhill des excuses qui peut-être l’amèneront à avoir pitié de vous ; j’en mourrai, moi, plus tranquille.

— Jamais, enfant, jamais je ne consentirai à regarder ma fille comme une prostituée. Le monde peut avoir du mépris pour ta faute ; moi, j’y vois une erreur et non un crime. Chère amie, quelque triste que semble ce séjour, je ne m’y trouve pas mal ; sois sûre que, tant que j’aurai le bonheur de te conserver, jamais je ne consentirai à ce mariage qui serait pour toi un surcroît de douleur. »

Ma fille partie, Jenkinson, qui avait assisté à notre entrevue, me reprocha vivement mon refus obstiné d’une démarche qui devait me valoir la liberté. « Le reste de votre famille, me dit-il, ne doit pas être sacrifié au repos d’une de vos filles, de celle surtout qui seule a eu envers vous des torts graves. Est-il bien d’ailleurs d’entraver l’union de mari et femme, comme vous le faites aujourd’hui, en refusant votre consentement à une alliance que vous ne pouvez empêcher, que vous pouvez seulement rendre malheureuse !

— Vous ne connaissez pas, monsieur, l’homme auquel nous avons affaire. J’en suis bien sûr ; toutes les soumissions du monde ne me vaudraient pas seulement une heure de liberté. Dans ce cachot même, m’a-t-on dit, un de ses débiteurs est, il n’y a pas plus d’un an, mort de faim. Dussent mon consentement et ma soumission me faire passer de ce cachot dans le plus magnifique de ses salons, il n’aura ni l’un ni l’autre ; car quelque chose me dit tout bas que ce serait donner une sanction à l’adultère. Tant que ma fille vit, il n’y a pas pour lui d’autre mariage légal à mes yeux. Elle morte, je serais le plus vil des hommes si, par un ressentiment personnel, j’essayais de séparer deux personnes qui désirent être unies. Non, tout infâme qu’il est, je désire-