dépenser pendant qu’elle est encore dans ma poche, et, pour le reste, nous attendrons l’occasion.
« C’était un parti bien pris ; et, tout juste, s’ouvrait devant moi le bureau de M. Crispe, dont l’engageante enseigne semblait me garantir un heureux accueil. Dans ce bureau, le bon M. Crispe offre à tous les sujets de Sa Majesté la généreuse promesse de trente livres sterling par an, en retour de laquelle tout ce qu’ils ont à donner est leur liberté, pour la vie, et la permission de se laisser transporter en Amérique comme esclaves. J’étais heureux de trouver un endroit où mes frayeurs allassent se perdre dans le désespoir. J’entrai dans cette cellule, — car ce bureau en avait toute l’apparence, — avec la dévotion d’un moine. Je trouvai là une foule de pauvres diables dans la même position que moi, attendant l’arrivée de M. Crispe, et présentant un exact abrégé de toutes les mauvaises têtes de l’Angleterre. Tous ces êtres intraitables, à la moindre brouille avec la fortune, se vengeaient de ses torts sur eux-mêmes. M. Crispe descendit enfin, et tous nos murmures cessèrent ; il daigna me regarder d’un air d’intérêt tout particulier, et, à coup sûr, c’était, depuis un an, le premier homme qui m’eût parlé le sourire sur les lèvres. Après quelques questions, il me trouva bon à tout en ce monde. Il réfléchit un moment au moyen le plus convenable de me pourvoir, et, se frappant le front comme s’il l’avait trouvé : « On parle en ce moment, me dit-il, d’une ambassade du synode de Pensylvanie aux Indiens Chickasaw ; je veux employer mon crédit à vous en faire nommer secrétaire. » Au fond du cœur, je savais bien que le drôle mentait, et pourtant cette promesse me fit plaisir ; elle avait quelque chose qui sonnait délicieusement à mon oreille. Je fis donc consciencieusement, de ma demi-guinée, deux parts dont l’une alla s’ajouter aux trente mille livres sterling de mon protecteur ; avec l’autre, je me décidai à entrer dans la plus proche taverne, et à y être plus heureux que lui.