Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/122

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avions-nous pu tous oublier un point si capital ? Je ne le conçois pas ; mais, ce qui est certain, nous avions tous été bien imprévoyants. Au lieu d’être, comme nous nous y attendions, un sujet de triomphe pour notre vanité, le tableau resta donc tristement adossé à la muraille de la cuisine, contre laquelle la toile avait été tendue, trop grande pour passer par aucune de nos portes, et en butte aux railleries de tous nos voisins. « C’est, disait l’un, le canot de Robinson Crusoé, trop lourd pour démarrer. — Il a l’air, disait l’autre, d’un dévidoir dans une bouteille. — Chose étonnante ! comment pourra-t-il sortir ? — Chose bien plus singulière ! comment a-t-il pu entrer ? »

Ridicule pour quelques-uns, ce tableau devenait, pour beaucoup d’autres, l’objet des insinuations les plus malveillantes. Le portrait du Squire au milieu des nôtres !… c’était trop d’honneur pour échapper à l’envie. Tout bas circulaient de scandaleux propos dont nous faisions tous les frais ; et, sans cesse, notre repos était troublé par de prétendus amis accourus pour nous raconter ce que nos ennemis avaient dit de nous. Ces rapports étaient toujours reçus avec l’indignation qu’ils méritaient ; mais, toujours aussi, le scandale s’accroît de l’opposition qu’il rencontre.

Nous voilà donc, une fois encore, délibérant pour combattre la malignité de nos ennemis. Nous prîmes à la fin un parti dans lequel je trouvai trop de duplicité pour en être pleinement satisfait : ce parti, le voici. Découvrir si les avances de M. Thornhill avaient un but honorable, était notre principal objet ; ma femme se chargea de le sonder, en lui demandant son avis sur le choix d’un mari pour Olivia. Si cela ne suffisait pas pour l’amener à une déclaration, on se décida à l’effrayer par un rival. Toutefois, ce dernier projet n’obtint mon consentement qu’après qu’Olivia m’eut donné l’assurance formelle d’épouser la personne qu’on opposerait pour rival au Squire, s’il ne prévenait pas ce mariage en la prenant lui-même pour femme.