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voir été trop familier ; mais vous excuserez ma curiosité ; je vous en demande pardon. — Monsieur, et je lui prenais la main, loin que votre familiarité me désoblige, acceptez, je vous prie, mon amitié comme vous avez déjà mon estime. — J’accepte avec reconnaissance ; et, à son tour, il me serrait la main ; vous, le glorieux pilier de l’inébranlable orthodoxie ! Ai-je bien devant les yeux ?…. » Je l’interrompis ; en ma qualité d’auteur, je pouvais, sans aucun doute, digérer une bonne dose de flatterie ; mais, cette fois, ma modestie n’en souffrit pas davantage. Jamais amoureux de roman ne se jurèrent amitié plus soudaine.

Nous causâmes d’une foule de choses. Je le jugeai tout d’abord plus pieux que savant, et je crus m’apercevoir qu’il méprisait, comme vaines, toutes les doctrines de ce monde. Mais il n’y perdit rien dans mon estime ; car, intérieurement, moi-même je commençais depuis quelque temps à me ranger à cette opinion. J’en pris donc occasion de remarquer que, généralement, le monde devenait d’une indifférence blâmable pour les choses de doctrine, et s’attachait beaucoup trop aux spéculations purement humaines. « Ah ! monsieur, répondit-il, comme s’il eût réservé toute sa science pour ce moment, ah ! monsieur, le monde est bien vieux, et pourtant la cosmogonie ou la création du monde ont embarrassé les philosophes de tous les siècles. Quel chaos d’opinions sur la création du monde ! Sanchoniaton, Manéthon, Bérose, Ocellus Lucanus s’y sont vainement escrimés ! C’est dans le dernier qu’on lit : Anarchon ara kai ateleutaion to pan, c’est-à-dire toutes choses n’ont ni commencement ni fin. Manéthon, aussi, qui vivait du temps de Nébuchadon-Asser (Asser est un mot syriaque, surnom habituel des rois de Syrie, Teglat-Phael-Asser, Nébuchadon-Asser) ; Manéthon, dis-je, a formulé une hypothèse également absurde ; car, comme nous disons habituellement : Ek to biblion kubernetes, c’est-à-dire les livres ne feront jamais connaître le monde… il a voulu