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COMÉDIE.

Scène XV.

ISAC, ensuite Mylord BONFIL.
(Isac regarde la lettre, la met dans sa poche et va pour sortir.)
Bonfil.


Donne-moi cette lettre.

Isac (en hésitant.)

Monsieur…

Bonfil.

Cette lettre, te dis-je.

Isac.

Oui, Monsieur. (Il la lui donne.)

Bonfil.

Sors. (Isac sort.)


Scène XVI.

Mylord BONFIL (seul)[1].


Paméla écrit à mylord Artur, sans m’en parler ! Pourquoi ? Ouvrons ce billet… Ma main tremble :

  1. Ciel à mylord Artur, et c’est de Paméla !

    (Il va pour lire.)

    Je frémis, ma main tremble ; et mon ame interdite,
    Dans ce billet fatal, croit voir ma perte écrite.

    (Il lit.)

    « Mylord, je me vois forcée d’accompagner mon époux dans
    » ses terres d’Yorck ; ce voyage imprévu…
    Quelle nécessité, quel si grand intérêt
    D’annoncer ce départ ! Sans doute il lui déplaît.

    (Il continue.)

    » Vous n’ignorez pas que je laisse à Londres la plus-chère partie
    » de moi-même.
    Ainsi donc, dans son cœur un autre me balance !
    Ainsi l’amour, l’honneur et la reconnaissance.
    Les droits les plus sacrés n’existent plus pour toi,
    Femme ingrate !

    (Il lit.)

    » Toute ma consolation, tout mon espoir sont désormais dans vos
    » bontés. Je ne m’explique pas plus clairement : vous sentez
    » l’imprudence qu’il y aurait à livrer de pareils secrets au papier.
    » Nous nous entendons ; c’est tout ce qu’il en faut,
    Femme ingrateLe Ciel est juste, tu le vois !
    Le Ciel ne permet pas que tant de perfidie.
    Soit long-temps ignorée et demeure impunie.

    (Il lit.)

    » Vous savez ce dont nous sommes convenus ce matin, et je
    » compte sur votre prudence ordinaire. »
    Hélas ! c’est donc en vain que, prompt à l’excuser,
    Moi-même, en sa faveur, j’aimais à m’abuser !
    Que mes yeux, repoussant une triste lumière
    Refusaient de s’ouvrir au jour qui les éclaire !
    Parjure ! c’est ainsi que ta fausse douceur
    À mes yeux trop séduits déguisait ta noirceur !