Page:Goldoni - Les chefs d'oeuvres dramatiques, trad du Rivier, Tome II, 1801.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
379
Comédie.

Isabelle.

L’excès de ma douleur me tenait dans cet état qui n’est ni la veille ni le sommeil : il m’était impossible de fermer totalement les yeux. Ma mère entre furieuse, s’approche de mon lit, et me dit d’une voix éclatante : songez à vous lever demain avec l’aurore. Elle disparaît à ces mots et emporte la lumière. Je me trouvai comme quelqu’un que réveille en sursaut un songe fatigant. Est-ce ma mère, me disais-je, ou un fantôme imposteur qui m’abuse ? Je pleurais, je tremblais, je cherchais à interpréter son discours, et j’étais assiégée de mille soupçons à la fois. Pourquoi donc me lever avant l’aurore ? Pourquoi venir m’annoncer cet ordre à présent, et le faire avec tant d’aigreur ? Ah ! je le vois, ma perte est jurée, et se consommera au retour du soleil. — L’attendrai-je tranquillement dans mon lit ? Moliere ! je te perds en restant ici. À ces mots, je m’élance de mon lit, je m’habille de mon mieux, j’ouvre doucement ma porte… Ma mère dort ! j’avance un pied, je retiens l’autre qui tremble suspendu, et je franchis timidement l’obscurité jusqu’à la seconde porte qui, par bonheur, était ouverte. J’accélère le pas alors, et d’un saut, je suis au salon. Je tire le verrou : je descends l’escalier, j’arrive à votre appartement. J’y viens chercher asile et protection, et je les réclame de nouveau à vos pieds.

Moliere.

Levez-vous, mon Isabelle. Qu’avez-vous fait, grand dieu ? avez-vous oublié ce que vous vous devez, ainsi qu’à moi ? Pendant la nuit, une jeune fille à peine vêtue, sans lumière, quitter son appartement à la faveur du sommeil de sa mère ! que voulez-vous que l’on dise d’une démarche aussi hardie ?

Isabelle.

On dira que l’amour a guidé l’épouse de Moliere auprès de son époux.