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Comédie.

Moliere.

Il n’est plus l’après-dîner, ce qu’on l’a vu le matin. Je l’ai déjà dit, et je le répète. Mais que voulez-vous ? trois grands vices désolent la société : les femmes, le jeu et le vin. Pour moi, j’aime les femmes, je languis, je brûle pour elles, je ne m’en cache point[1]. Mais l’amour n’est point un vice chez moi : c’est le Ciel lui-même qui allume et nourrit le feu sacré de deux tendres époux ! Je crains cependant… Je vous quitte ; je reviens dans l’instant. Ah ! mon ami ! ce jour de triomphe n’est pas encore un jour heureux pour moi ! (Il appelle très-fort.) La Forêt ?


Scène VII.

Les Mêmes, LA FORÊT.
La Forêt.


Me voilà, j’y cours.

Moliere.

Dis-moi : que fait Isabelle ?

La Forêt.

Hélas la pauvre enfant s’est couchée, pour obéir à sa mère.

Moliere.

Elle est couchée ?

La Forêt.

Je l’ai déshabillée moi-même, et je l’ai vue se mettre au lit.

  1. « Qui est-ce qui égale Racine dans l’art de peindre l’Amour ? c’est Moliere. Voyez les scènes des amans dans le Dépit amoureux, premier élan de son génie. Dans le Misanthrope, entendez Alceste s’écrier : Ah ! traitresse ! quand il ne croit pas un mot de toutes les protestations que lui fait Célimène, et que pourtant il est enchanté qu’elle les lui fasse : Relisez toute cette admirable scène, où deux amans viennent de se raccommoder, et où l’un des deux, après la paix faite et scellée, dit pour première parole :

     « Ah ! ça, n’ai-je pas lieu de me plaindre de vous !

    » Revoyez cent traits de cette force, et si vous avez aimé vous tomberez aux genoux de Moliere, et vous direz comme le Persan Sadi : Voilà celui qui sait comme on aime ! » (M. de la Harpe.)