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Comédie.

La Béjart.

Allons, que décidez-vous ?

Moliere.

Ma foi, je vous dirai franchement que c’est parler un peu tard.

La Béjart.

Un peu tard pour moi, à la bonne heure ; mais assez tôt, du moins, pour Isabelle. Je vous déclare d’abord que je quitte votre troupe.

Moliere.

Nous trouverons des actrices, Madame. Je serai fâché de vous perdre ; si cependant vous le voulez, je n’ai rien à dire à cela : mais accordez-moi d’abord la main d’Isabelle.

La Béjart.

Avant d’y consentir, je lui donnerai plutôt la mort.

Moliere.

La mort ! qu’entends-je, et quelles sont ces menaces insensées, ces propos hardis ! ah ! c’en est trop : la patience m’échappe à la fin. Quel est donc l’empire que vous croyez avoir sur votre fille ? et qui vous donne l’odieux conseil de la tyranniser ainsi ? C’est votre enfant, il est vrai ; mais le Ciel, en vous, la donnant, vous a-t-il remis tous ses droits sur elle ? La fille doit obéir aux volontés d’une mère douce et bonne ; mais la mère ne doit point dicter des lois injustes ou impraticables. Il est un privilége incontestable que le Ciel accorde à tous les enfans : celui qui choisit l’état qui lui convient, peut ne prendre conseil que de lui-même. Si les mères peuvent et doivent s’opposer au déshonneur de leurs filles, jamais elles n’auront le droit de traverser leur bien-être, de leur arracher une fortune réelle. La mort ! vaines menaces ! songez qu’elle appartient à un monarque qui sait punir le crime ; et puisque la douceur et la violence