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Comédie.

femme le bâtonne ; bref, il leur abandonne ses biens pour avoir la paix ; et de retour à Paris, il remonte sur ses tréteaux : loges, parterre, tout est plein ; et ce public, qui avait montré quelque étincelle d’un goût meilleur, se reporte en foule au dernier des spectacles. Voilà, voilà donc le prix de mes fatigues ! On m’abandonne (Ah ! cette seule pensée allume mon indignation.) On m’abandonne, pour courir à Scaramouche !

Valere.

Cela mérite-t-il de troubler un homme tel que vous ? Ne voyez vous pas que ce n’est que le caprice d’un moment[1] ? qu’il vous suffise d’avoir fixé, et de conserver à jamais l’estime des sages et des vrais littérateurs. Cette seule gloire peut et doit effacer bien des dégoûts.

Moliere.

Je ne puis voir, sans douleur, la facile inconstance du public.

Valere.

Le public, vous le savez est un corps immense, qui a, qui aura nécessairement toujours des membres défectueux.

Moliere.

Allons recueillir maintenant les clameurs que ne manquera pas d’exciter parmi les imposteurs l’annonce du Tartufe.

Valere.

C’est que tout le monde attend cet ouvrage avec une impatience !

Moliere.

Quel doux plaisir, mon ami, que celui d’une vengeance qui ne blesse point l’équité et qui

  1. Mot à mot : un feu de paille ; le ton de noblesse qui règne dans cette scène et dans la pièce en général, ne nous a pas paru comporter cette locution triviale. Nous prévenons, une fois pour toutes, le lecteur que nous ne traduisons ni les jeux de mots, ni les équivoques, et que nous remplaçons les uns et les autres par des équivalens.