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Comédie.

Léandre.

Mais, permettez : la pièce avait été déjà suspendue ; n’y avait-il pas un peu de témérité de votre part à braver la défense faite alors ?

Moliere.

Depuis, le roi la lut, daigna l’honorer de son suffrage, et en permettre la représentation. Mais, malheureusement pour moi, il partit pour la Flandre et la permission n’était que verbale. J’ai dépêché sur le champ un de mes plus habiles Sujets ; et j’attends d’un moment à l’autre un écrit qui contienne la grâce que j’implore. Ils verront, ils verront ces ministres qui ne daignent pas m’en croire, que Moliere mérite cependant que l’on ajoute foi à ses paroles ; et les vils hypocrites ne célébreront pas long-temps le triomphe qu’ils se flattent d’avoir remporté sur moi.

Léandre.

Convenez aussi que vous avez bien maltraité les imposteurs.

Moliere.

Eh ! mon ami, ce sont des traîtres qu’il fallait faire connaître. On peut se défendre contre toutes les autres classes de méchans ; mais où est le bouclier contre des traits imprévus ? Croyez-moi, non ami ; c’est une œuvre sainte, c’est une occupation sublime que de dévoiler l’artifice et de démasquer l’hypocrisie.

Léandre.

Soit ; je vous accorde tout cela. Mais je voudrais vous voir bannir les idées tristes ; vous voir gai comme moi, par exemple.

Moliere.

Mon cher, l’homme chargé de donner du plaisir aux autres, en goûte rarement lui-même. Pour vous, dont le plaisir est l’unique affaire, vous avez acquis le privilège de vivre sans inquiétudes.