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PAMÉLA MARIÉE,

enfin de la catastrophe la plus tragique peut-être qu’offre tout le théâtre français. Voilà la marche du cœur humain ; c’est ainsi qu’Orosmane a dû agir et parler, parce que c’est ainsi qu’on aime.

Il ne s’agit point d’établir ici un parallèle suivi entre deux ouvrages qui ne présentent tout au plus que quelques points de comparaison dans les détails : nous rapprochons seulement des situations qui sont et ont dû être les mêmes, et nous observons de quelle manière elles ont été traitées par deux écrivains distingués, par deux grands peintres des passions.

Bonfil connaît assez Ernold pour mépriser ses rapports ; assez Artur, pour ne pas embrasser légèrement l’idée d’un soupçon à son égard. C’était le cas d’une explication franche et amicale, et elle n’a point lieu : le seul endroit de la pièce où elle se présentait naturellement, est la scène septième du second acte, et cette scène finit par un défi, où l’on ne reconnaît plus la sagesse d’Artur qui doit plaindre et éclairer son ami, ou se disculper, au moins, de ses torts prétendus envers lui. Bonfil n’a contre Paméla d’autre preuve qu’une lettre qui offre, à la vérité, un sens équivoque et capable d’alarmer un époux, qui aurait d’ailleurs quelques doutes déjà sur la conduite de sa femme. Mais pourquoi ne parler de cette lettre ni à Artur ? ni à Paméla ? Comment se peut-il déterminer aussi précipitamment à sacrifier, sans examen, un ancien et respectable ami, une épouse si tendrement aimée } Pourquoi, dans la scène si intéressante du troisième acte, où Paméla proteste si ingénument de son innocence, n’échappe-t-il pas à Bonfil de lui dire : Lisez, perfide. Reconnaissez-vous cet écrit, etc.

Nous doutons que le dénouement adopté par Goldoni fît aucun effet sur la scène française. Cet interrogatoire en forme, ce procès verbal, etc., tout cela paraîtrait bien froid à des spectateurs qui aiment à être remués, dans un dénouement sur-tout où le poëte est supposé avoir rassemblé toutes ses forces,