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COMÉDIE.

la détruire, pour l’ébranler seulement, des motifs bien fondés, ou du moins de très-fortes apparences. Ce qui compromettrait facilement tout autre femme, est insuffisant ici, parce que Pamela n’est point une femme ordinaire, et que sa conduite antérieure peut tout faire présumer d’elle, excepté le mal. Il faut l’évidence même pour la soupçonner, et des preuves sans réplique pour la convaincre. C’est le comble de l’art, sans doute, d’avoir exposé la plus vertueuse la plus aimable des femmes, au plus grand de tous les chagrins, celui de perdre l’amour de l’époux qu’elle chérit ; au plus grand de tous les malheurs, celui d’être accusée et presque convaincue de l’avoir trahi. Cette situation déchirante, que le spectateur partage, est susceptible du plus grand effet, et il y en a aussi dans la pièce que nous analysons. Mais les moyens qui le produisent sont-ils assez vraisemblables ? La jalousie, et par conséquent la conduite de Bonfil, sont-elles motivées ? Il est naturellement jaloux, et la jalousie ne raisonne pas. Non ; mais l’amour examine, et Bonfil élude toute espèce d’examen, et ne cherche point à justifier ce qu’il aime, penchant aussi doux qu’il est naturel au cœur d’un amant. Voyez comme dans Zaïre, Orosmane, tout en disant :

Les éclaircissemens sont indignes de moi ;


en revient deux fois cependant à ces mêmes éclaircissemens qu’il a jugés si indignes de lui ; voyez comme il cherche et fournit à son amante tous les moyens de justification que l’amour, la vraisemblance et le désir sur-tout de la trouver innocente, lui peuvent suggérer ; et quand tout semble se réunir pour le convaincre qu’il est trahi, entendez-le s’écrier encore :

Laissez, sur-tout, laissez Zaïre en liberté !


Et quand prononce-t-il ce vers ? c’est à la fin du quatrième acte, c’est lorsqu’il tient entre ses mains des preuves manifestes de la perfidie de Zaïre, c’est au moment L