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COMÉDIE.

Paméla[1].

Je n’en accorde, Monsieur, ni par habitude mi par surprise. Quand un Cavalier me rend visite, je lui sais bon gré de la peine qu’il se donne : mais prétendre me forcer à le recevoir ! ce n’est plus un hommage ; c’est une marque formelle de mépris. Je ne sais comment interpréter votre conduite ; ce dont je suis bien sure c’est qu’elle me semble un peu hardie : et avec la même franchise qui vous a introduit ici sans mon aveu, je puis, je crois, prendre, à votre exemple, la liberté de me retirer. (Elle sort.)

  1. Je reçois volontiers un ami respectable.
    Sa visite, à mes yeux, n’a rien que d’honorable ;
    Mais se vouloir de force introduire chez moi,
    Y braver ma défense, au mépris de la loi
    Qu’impose, en cas pareil, l’exacte bienséance !
    Ce n’est plus un honneur, Monsieur, c’est une offense ;
    Et je ne conçois pas comment j’ai mérité
    Un tel excès d’audace et de témérité,
    S’il vous souvient d’ailleurs des leçons un peu dures,
    Dont Paméla, jadis, a payé vos injures,
    Et si le temps encor n’a pu les effacer,
    Épargnez-moi l’affront de vous les retracer.

    (Elle sort.)


    Scène IV.

    ARTUR, ERNOLD.
    Ernold.

    Non, je n’en reviens pas ; oui, dans tous mes voyages,
    J’ai vu bien des pays, connu bien des usages :
    Mais dans tous les climats que j’ai pu parcourir,
    Un pareil caractère est encore à s’offrir.
    Il est original, romanesque, incroyable !
    Et ferait, au théâtre, un effet admirable.

    Artur.

    Oui, vous avez raison : tous les cœurs vertueux

    S’y pourraient reconnaitre, à des traits dignes d’eux.
    Ernold.

    Je conçois aisément la chaleur de ce zèle,
    Et votre intérêt veut que vous plaidiez pour elle.
    Pardon ! je suis venu rompre un doux entretien,
    Troubler un tête-à-tête… ! ah ! cela n’est pas bien ;
    Et d’un tiers, en ce cas, l’importune présence…

    Artur.

    Prenez garde, Monsieur, votre discours offense
    La vertu…

    Ernold.

    LA vertuPréjugé, dont je veux vous guérir,
    Contre lequel enfin il faut vous aguérir.
    Comment ? pour supposer à cette femme unique
    Quelque penchant pour vous, quelqu’ardeur sympathique,
    Cet honneur prétendu se croiraît outragé !…
    Si comme moi, mon cher, vous aviez voyagé…

    Artur.

    Je n’étalerais pas ce frivole avantage
    Aussi complaisamment, si pour tout mon partage,
    Je n’avais recueilli, dans cent climats divers,
    Que des vices de plus et de nouveaux travers.

    Ernold.

    Vous m’insultez !

    Artur.

    Vous m’insultezQui, moi ! je n’insulte personne,
    Je parle en général. Tant pis pour qui soupçonne
    Avoir pu me fournir matière à mes portraits.
    Est-ce ma faute, à moi, si mes crayons sont vrais ? etc.

    (Acte Ier, Sc. VIII.)